L’œuf dans l’hindouisme
L’œuf apparaît très tôt dans la mythologie hindoue, comme un des premiers éléments de sa cosmogonie. De lui naît Prajāpati (le démiurge) ou, selon d’autres mythes, la Terre et le ciel. L’importance de l’œuf semble rapidement s’estomper. Seule la critique sur sa consommation et son commerce apparaît encore dans les textes ultérieurs. Ceci jusqu’à l’époque contemporaine, où sa production connaît depuis les années 1980 une croissance continue, en réponse aux nouveaux modes de vie de la classe moyenne.
Mythologie
L’œuf (‘aṇḍa’ en sanskrit) apparaît très tôt dans la mythologie hindoue comme un des premiers éléments de sa cosmogonie. De lui naît le progéniteur Prajāpati, le ‘Seigneur des créatures’. Le Śatapatha-Brāhmaṇa, composé entre le 10e et le 7e siècle AEC, est un des textes védiques les plus importants. Il commente et explique les principaux rites et hymnes du Veda, et décrit ainsi l’origine du monde : « Au commencement, les Eaux, l’Océan existaient seuls. Les Eaux désirèrent : “comment parviendrons-nous à procréer ?” Elles firent effort, elles ardèrent l’ardeur et voici qu’en elles […] un œuf d’or apparut. Le temps certes n’existait pas alors, mais l’œuf flotta aussi longtemps que dure une année. Pendant cette année donc, un être apparut : c’était Prajāpati. » (Varenne, 1967). Dans un autre hymne de ce même texte, c’est Prajāpati qui crée les Eaux puis entre en elles à l’aide du Veda (le savoir), d’où se développe l’œuf. Son embryon donne naissance à Agni – le dieu du feu, à l’origine de tout sacrifice – et sa coquille devient la Terre.
Ainsi lié au ‘brahman’ – l’énergie primordiale, le principe absolu – ‘l’œuf cosmique’ est aussi appelé ‘brahmāṇḍa’. Comme source de vie, il réunit les principes mâle et femelle. Divisé en deux moitiés – le ciel et la terre – il représente la totalité de l’univers, comme dans ce passage de la Chāndogya Upanishad (une des plus célèbres ‘leçons philosophiques’ du Veda) : « Au commencement ce monde n’était que non-existence. Il exista. Il se développa. Il devint un œuf. Il attendit un an. Il s’ouvrit. La moitié de la coquille devint d’argent, l’autre d’or. Ce qui était d’argent est cette Terre. Ce qui était d’or est le ciel. La membrane externe devint les montagnes. La membrane interne forma les nuages et le brouillard. Les veines sont les rivières. Le fluide au-dedans est l’océan. » (Daniélou 1992).
Par contre, à part cette place centrale dans la cosmogonie hindoue, l’œuf ne joue apparemment aucun rôle dans les rites sacrificiels, pourtant très importants dans le brahmanisme. Les aliments utilisés lors des oblations et libations védiques consistent presque toujours en produits lactés (‘ghee’, lait, crème, caillé), carnés (chèvres, notamment), ou en ‘soma’, le jus qui fait office d’élixir d’immortalité dans les sacrifices. Après l’épisode védique, l’importance mythologique de l’œuf semble toutefois s’estomper et les quelques mentions faites dans les textes ultérieurs sont essentiellement de l’ordre de l’interdit ou de la critique à l’égard de ceux qui en font commerce.
Consommation
C’est un fait bien connu que le végétarisme occupe une place importante dans l’hindouisme, mais tous les hindous ne sont de loin pas végétariens. Même parmi les castes qui respectent ce régime, essentiellement celles d’origine brahmane, la liste des aliments permis et proscrits peut varier considérablement d’une région à l’autre, d’une caste à l’autre, à l’exception du tabou généralisé de la viande de bœuf. La consommation des œufs n’échappe pas à la règle. Une seule famille sur dix consomme des œufs au Rajasthan, alors que six à sept familles sur dix en consommeraient à Goa ou dans le Bengale-Occidental. De nombreux brahmanes refuseront de manger de la viande, mais n’hésiteront pas à manger une omelette ou un plat contenant de l’œuf.
L’augmentation, ces dernières décennies, de la consommation d’œufs en Inde indique néanmoins, au-delà de la simple croissance démographique, la part grandissante de ce produit dans le régime des Indiens, spécialement parmi la population urbaine. Selon les chiffres de la FAO publiés en 2009, on est passé de 0,7 kg d’œufs par habitant par an en 1980 à 1,8 kg par habitant par an en 2005. Le faible coût de cet aliment, son apport en protéines et le fait que le poulet et ses dérivés ne sont tabous dans aucune religion expliquent notamment l’intérêt que lui portent les classes moyennes urbaines dont les habitudes alimentaires sont de plus en plus enclines aux protéines animales, à l’instar des autres pays asiatiques.
Ambassade de France en Inde, service économique régional de New Delhi. 2015. Le secteur de la volaille en Inde. [En ligne] 06 2015. [Citation : 14 02 2017.] https://www.tresor.economie.gouv.fr/File/417517.
Daniélou, Alain. 1992. Mythes et dieux de l’Inde : le polythéisme hindou. Monaco : Éd. du Rocher, 1992.
FAO. 2009. La Situation mondiale de l’alimentation et de l’agriculture. Rome : FAO, 2009. ISBN 978-92-5-206215-8.
Rukmini, S. 2015. Is India an egg-eating country? The Hindu. [En ligne] 02 06 2015. [Citation : 14 02 2017.] http://www.thehindu.com/opinion/blogs/blog-datadelve/article7274957.ece.
Varenne, Jean (trad.). 1967. Mythes et légendes extraits des Brâhmanas. Paris : Gallimard, 1967.