Insectes comestibles: les protéines du futur?
Olympia Yarger est une éleveuse d’insectes australienne à la pointe du progrès
Pour plus de deux milliards de personnes, les insectes font partie de leur alimentation traditionnelle1, alors que les cultures occidentales ont oublié depuis longtemps cette source de nourriture nutritive et, oui c’est possible, savoureuse.
Olympia Yarger est une éleveuse d’insectes australienne décidée à faire bouger les choses. Elle est la fondatrice et directrice générale de Goterra, une des sept rares fermes d’élevage d’insectes comestibles du pays. Il ne s’agit pas non plus d’amateurisme : Olympia a développé un système de production entièrement automatisée qui produit plus de 250 kilogrammes de vers de farine chaque mois.
Ses vers de farine sont élevés dans des boîtes peu profondes soigneusement empilées sur des rayonnages placés dans une cabane sombre et chaude. Un grand bras robotisé surveille les conditions de production et dispense la nourriture aux insectes, bien qu’une petite équipe d’éleveurs les surveille chaque jour.
Au bout de six semaines les vers de farine entrent dans leur phase maximale de développement et il est temps de procéder à la récolte. Du dioxyde de carbone (neige carbonique) est utilisé pour retirer rapidement l’oxygène des tubes2, après quoi les larves sont congelées ou déshydratées, selon la manière dont elles seront préparées, alors qu’elles sont encore fraîches. Un petit nombre de vers de farine sont mis de côté dans chaque lot pour qu’ils deviennent des coléoptères, sachant qu’au cours du mois suivant chacun d’eux aura pondu entre 200 et 300 œufs, ce qui renouvellera le cycle.
L’idée centrale d’Olympia a toujours été de convertir les déchets agricoles et de consommation en nourriture pour les animaux et pour les humains. « Si les insectes font vraiment partie du développement durable, ils ne peuvent pas juste être des plus petits animaux à nourrir. Ils doivent remplir un rôle de consommateur de déchets inutiles ou nuisibles pour l’agriculture conventionnelle. Par conséquent, nous sommes partis à la recherche de vastes ressources au sein de notre pays – du marc de raisin issu des vignobles, des bales de riz, des écales de noix, des restes de coton – et nous essayons de nourrir nos vers de farine avec différents substrats et en analysons l’impact sur leur valeur nutritionnelle. Nous sommes persuadés que l’élevage des insectes sera amené à jouer un rôle essentiel dans la future réussite des producteurs australiens en apportant une alternative aux modes traditionnels de gestion des déchets, qui sont à la fois intensifs en termes de travail et très coûteux en termes d’infrastructures. »
Il existe quasiment 2000 espèces comestibles connues, chacune ayant un goût et une texture unique. Des juteuses larves huhu de Nouvelle-Zélande jusqu’aux croustillantes sauterelles frites du Mexique en passant par les fourmis à miel crues d’Australie, il y a tellement de choix !
Les grillons sont parmi les insectes comestibles les plus ragoûtants en Occident3 et ont attiré quasiment toute l’attention des médias au cours des dernières années. Si vous avez vu l’un de ces reportages, vous savez que les grillons sont composés à 60 à 80% de protéines, contiennent plus de fer que le bœuf et autant de calcium que le lait.4
Ils peuvent également se targuer de statistiques environnementales très impressionnantes. Comparé au bœuf5, les grillons :
- nécessitent 15 000 litres d’eau en moins par kilogramme de viande produite
- sont 12 fois plus efficaces pour convertir la nourriture ingérée en protéine
- produisent 100 fois moins de gaz à effet de serre, et
- nécessitent très peu d’espace et atteignent leur maturité au cours d’un cycle rapide de huit semaines
Même si ces données peuvent ne pas suffire à contrer un certain dégoût6, elles restent néanmoins difficiles à contester.
Toute une lutte pour mettre des insectes au menu
Goterra ne fait pas de vente directe au public, étant donné qu’Olympia nourrit de plus grandes ambitions. L’équipe a travaillé particulièrement dur pour redimensionner ses activités au niveau commercial, dans l’objectif d’abaisser les coûts7 pour faire des insectes un produit viable utilisable par l’industrie alimentaire dans des produits de consommation courante.
« Si nous voulons que les insectes fassent désormais partie de notre culture culinaire et qu’ils ne soient plus un produit de niche, nous devons les rendre disponibles dans des quantités permettant d’en faire des biens de consommation facilement échangeables. Pour l’instant, le pourcentage d’insectes dans les produits de consommation est très faible – en partie dû au prix et en partie à cause de la peur que cela ait le goût d’insecte ! »
Goterra dispose de quelques ingénieurs alimentaires qui explorent en cuisine des questions telles que : comment faire des fallafels de vers de farine ? Et comment confectionner des boulettes de grillons qui gardent leur consistance ? Pour cette nouvelle nourriture faisant irruption en Occident, nous nous interrogeons toujours sur ses propriétés physiques et chimiques, leur place dans le système alimentaire et leur désirabilité auprès du grand public.
Olympia revient sur le processus de découverte du quinoa. « Quand le quinoa a débarqué, nous ne savions pas comment l’utiliser ni le cuisiner. Nous ne comprenions pas pourquoi, après 17 heures de cuisson, il restait toujours légèrement craquant, pourquoi il n’absorbait pas les sauces comme le faisait le riz, ni pourquoi il ne se comportait pas d’une manière habituelle avec nos aliments. Le quinoa ne correspondait pas à notre expérience culturelle de la nourriture, si bien que les gens ne l’aimaient pas. Mais dès que nous avons commencé à le mettre en salade et à utiliser sa saveur noisette pour densifier le pain et les muffins, il a commencé à avoir du succès – et je pense qu’il en va de même pour les grillons. Peut-être que leur saveur de poisson n’a pas sa place dans un muffin, hormis s’il est salé. Peut-être que nous devrions nous montrer plus courageux et les utiliser comme de la viande au lieu de les considérer comme une nouveauté ou de la garniture. »
Des sociétés telles que Bugsolutely, One Hop Kitchen, Grilo Protein et Crickers s’attèlent à combler le fossé entre les producteurs et les consommateurs, en transformant respectivement les insectes en pâtes, sauces, barres de protéines et biscuits salés. Si nous avons la chance de continuer sur notre lancée, peut-être en verrons-nous bientôt sur les rayons de nos supermarchés !
FOOD AND AGRICULTURE ORGANIZATION (FAO), 2019. Insects for food and feed. FAO | Food and Agriculture Organization [en ligne]. 18.03.2019. [Consulté le 27.03.2019]. Disponible à l’adresse : http://www.fao.org/edible-insects/en/
GRILO PROTEIN, 2018. Why you should start eating insects. Grilo Protein [en ligne, consulté le 27.03.2019]. Disponible à l’adresse: https://griloprotein.com.au/why-eat-crickets/
VAN HUIS, Arnold, VAN ITTERBEECK, Joost, KLUNDER, Harmke et al., 2013. Edible insects: future prospects for food and feed security [en ligne]. Rome: Food and Agriculture Organization. [consulté le 12.06.2019]. Disponible à l’adresse : http://www.fao.org/3/i3253e/i3253e.pdf
WILKINSON, Kerry, MUHLHAUSLER, Beverly, MOTLEY, Crystal et al., 2018. Australian Consumers’ Awareness and Acceptance of Insects as Food. Insects. 19.04.2018. Vol. 9, no 2. DOI https://doi.org/10.3390/insects9020044