Consommer comme action militante ?
Avec le développement de la société de consommation a émergé l’idée qu’il est possible de peser politiquement grâce à ses pratiques de consommation...
Avec le développement de la société de consommation a émergé l’idée qu’il est possible de peser politiquement grâce à ses pratiques de consommation, soit par le choix de ne pas consommer certains produits pour des raisons éthiques ou politiques, c’est à dire par boycott, soit au contraire, en soutenant par sa consommation des produits plus vertueux, par buycott. Cette forme d’action s’ajoute à un militantisme classique, en se concentrant sur l’action quotidienne individuelle et l’aménagement de sa propre vie, plutôt que sur la scène politique. En français, le mot ‘consom'acteur’ a été inventé pour définir cette catégorie de « consommateurs engagés ».
Par le fait de passer par des actes individuels de consommation qui doivent être répétés sans cesse, ce type d’engagement est toutefois fluctuant et variable. Une même action, comme ne pas manger de viande, peut refléter diverses sensibilités.
En Suisse comme en Europe, on estime qu’environ 3% des adultes suivent un régime excluant les protéines animales, mais les chiffres restent discutés. Certaines organisations proposent des estimations jusqu’à trois fois supérieures. Quoiqu’il en soit, le constat d’une hausse du renoncement à la viande est unanime.
Par ailleurs, les raisons qui poussent certains mangeurs à renoncer aux produits d’origine animale sont diverses. Il peut s’agir d’un souci pour le bien-être animal, allant parfois jusqu’à des convictions antispécistes, qui contestent le traitement différencié des hommes et des autres animaux. Il peut s’agir aussi d’un souci pour l’environnement et ses différentes dimensions. Ce choix peut encore être guidé par des préoccupations pour sa propre santé et celle de sa famille, avec des craintes qui sont amplifiées par les divers scandales alimentaires qui ont régulièrement touché ce secteur de l’alimentation. Pour certains encore, il s’agit d’une motivation spirituelle ou religieuse… et la liste n’est pas close… et bien entendu, ces motivations se mélangent souvent et toutes ne produisent pas la même intensité d’engagement. Certaines études, faites aux USA, suggèrent que les motivations de santé produisent des engagements moins durables que celles liées à des raisons éthiques ou environnementales. Des convictions fortes quant aux conditions de vie et de mort des animaux d’élevage, peuvent même produire un dégoût durable pour la chair animale.
La diversité des pratiques qui découlent de ces motivations est grande. Les ovo-lacto-végétariens ne mangent pas de viande ni de poisson mais des produits laitiers et des œufs. Les pesco-végétariens ne consomment pas de viande mais mangent du poisson. Les végétaliens ne mangent eux que des aliments d’origine végétale. Enfin, les véganes non seulement renoncent à consommer les produits d’origine animale, mais les excluent aussi des autres sphères de la consommation (comme l'habillement, avec le cuir). D’autres personnes font le choix de réduire significativement leur consommation de viande, sans y renoncer totalement. On parle alors de flexitariens… Pour d’autres encore, il s’agit non pas de renoncer à la viande en général, mais de ne consommer que des viandes produites localement et de façon durable, en se fournissant autant que possible à travers des circuits courts ou en vente directe… Cela s’associe parfois avec l’idée d’éviter le gaspillage d’un produit précieux comme la viande en consommant l’entier de l’animal de tête à la queue, c’est l'idée du nose-to-tail qui s'oppose à la tendance à privilégier uniquement les morceaux fins et faciles à cuisiner…
Parmi les plus convaincus, certains ajoutent à leur pratique alimentaire des actions chocs, sur le terrain. Cela peut demeurer dans le cadre normal du militantisme, comme les campagnes d’affichage aux images fortes de l'association PETA contre les fourrures. Mais d’autres dépassent parfois les limites du légal : caillassages de vitrine de boucherie, libération d’animaux d’élevage, ou films tournés clandestinement dans des élevages ou des abattoirs pour dénoncer les maltraitances animales… le côté illicite voire violent dérange souvent. Une manière de comprendre ces actions est de les mettre en perspective avec les raisons d’engagement. Pour ces militants, il s’agit de s’opposer à des pratiques elles-mêmes hautement violentes et injustes. De leur point de vue, ces pratiques sont profondément immorales bien que légales. Elles devraient donc être considérées comme un crime, dont les victimes, les animaux, seraient nos égaux.
Il est difficile de mesurer l’impact de ces actions sur la société plus générale et nos rapports aux animaux. Toujours est-il que les normes légales garantissant le bien-être des animaux d’élevage se durcissent régulièrement dans des pays comme la Suisse. Et il est certain que ces sujets occupent souvent les débats publics et les médias, ce qui prouve peut-être que les questions posées par ces consom’acteurs touchent un point sensible.
Un grand merci à Zoé Lüthi (assistance recherche et documentation)
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