De micro-convives dans nos intestins
Notre système digestif s'apparente à une usine biochimique. Le pancréas envoie des enzymes vers la bouche, l'estomac et le tractus gastro-intestinal pour y dégrader les aliments que nous consommons et en extraire les nutriments, qui alimenteront à leur tour notre corps et notre cerveau. Les résidus alimentaires inutilisés quittent notre corps par le colon; ce sont les matières fécales.
Je suis le microbiote: permettez-moi de me présenter
Dans le tractus gastro-intestinal, le colon ou gros intestin accueille quelque 100 billions de microbes, soit environ 10 fois plus que toutes les cellules du corps humain. En moyenne, l'intestin d'un adulte en bonne santé compte jusqu'à 2 kg de bactéries, en plus des microbes moins nombreux présents sur la peau et dans toutes les autres parties de son corps. Ensemble, ils forment ce que l'on appelle le microbiote humain.
Le microbiote nous aide à digérer les aliments qui ne peuvent pas être digérés par l'estomac et l'intestin grêle, et nous aide à produire des vitamines, B ou K par exemple. Un microbiote sain et équilibré garantit le bon fonctionnement de notre système digestif. Il joue aussi un rôle important dans notre système immunitaire: environ 80% de notre système immunitaire se trouve dans l'intestin, où il fait office de barrière et empêche les agressions d'autres micro-organismes(1).
Depuis les années 50, les microbiologistes ont mis en évidence de plus en plus de liens entre le microbiote intestinal, la santé et la maladie, et ont démontré que l'intestin était un bioréacteur très important pour notre santé. Le microbiote est également en communication permanente avec le cerveau pour déterminer comment nous nous sentons, où en est notre digestion, notre métabolisme, notre mémoire, notre humeur et notre bien-être.
Lorsque nous naissons, notre tractus gastro-intestinal est quasiment stérile. Les microbes commencent à coloniser notre intestin dans les premières minutes qui suivent la naissance. Comprendre quels sont les premiers microbes qui s'installent dans notre intestin est une pièce maîtresse du puzzle. Un facteur déterminant est la manière dont nous naissons. L'accouchement vaginal fait passer le bébé par la partie inférieure du corps de sa mère, où il collecte les microbes. Ensuite, lorsqu'il est placé contre la peau de sa mère, il recueille davantage de microbes encore. Les bébés nés par césarienne collecteront les microbes une fois qu'ils sont en contact avec leur mère, en particulier s'ils sont allaités, et accueilleront également les microbes de leur environnement.
À la naissance, notre système immunitaire et notre écosystème intestinal sont encore immatures et doivent apprendre à reconnaître les différences entre des composés nocifs (p ex. les microbes pathogènes) ou inoffensifs (p. ex. les protéines alimentaires), en réagissant face aux composés nocifs pour nous protéger contre les maladies, mais sans réagir face aux composés inoffensifs. Le microbiote joue son rôle en aidant notre système immunitaire à se développer et à réagir comme il convient face aux germes pathogènes. Une manière d'illustrer l'importance de ce rôle à la naissance est de comparer les bébés nés par voie basse à ceux nés par césarienne. Puisque leur microbiote se développe différemment, les chercheurs peuvent en déduire que le système immunitaire de chacun se développe lui aussi différemment. Les études montrent que les bébés nés par césarienne risquent davantage de contracter certaines infections et allergies dès le plus jeune âge(2).
De nombreux facteurs peuvent modifier la composition du microbiote. Les changements de style de vie jouent un rôle important, et les éléments tels que la vie urbaine, le sédentarisme, l'alcool, le tabac, la drogue, ainsi que ce nous mangeons (ou ne mangeons pas) peuvent transformer le microbiote(3).
Les chercheurs se demandent même si la vie moderne « hyper-propre et hyper-saine » est vraiment une bonne chose. Selon eux, il est possible que notre exigence accrue d'hygiène perturbe notre microbiote. Les antibiotiques peuvent être essentiels pour lutter contre une infection, mais nous savons actuellement aussi qu'ils compromettent l'équilibre microbien dans l'intestin. Le microbiote produisait ses propres antibiotiques des siècles avant que la pénicilline ne soit découverte en 1928!
Pour simplifier une question extrêmement compliquée, les chercheurs répartissent les humains en trois grands entérotypes (comme pour les groupes sanguins), en fonction de leur microbiote: prevotella, bactéroïdes et ruminococcus. Les entérotypes sont baptisés du nom de la bactérie la plus répandue dans chacun d'eux. Ces entérotypes ne sont pas liés à la masse corporelle, le sexe, l'âge ou la nationalité, mais pourraient être influencés par le régime alimentaire. En effet, les prevotella sont prédominantes chez les personnes qui consomment principalement des glucides, et les bactéroïdes chez celles qui consomment surtout des protéines et des graisses animales(4).
Modifier son régime à court terme ne suffit pas à changer l'entérotype de quelqu'un. Cependant, les chercheurs aimeraient savoir si un changement de régime alimentaire à long terme pourrait entraîner le passage d'un entérotype à un autre, et si cela permettrait d'améliorer la santé de la personne concernée.
Connaître notre entérotype pourrait un jour aider à déterminer quel régime nous convient le mieux, voire quels médicaments sont les plus efficaces!
Les chercheurs se demandent également si le microbiote peut avoir un lien avec la surcharge pondérale. Au sein de la communauté scientifique, une opinion est de plus en plus répandue: il sera bientôt possible de lutter contre l'obésité en modifiant les microbiotes.
Une étude menée sur des souris a déjà donné des résultats encourageants. Des paires de souris jumelles, l'une mince, l'autre obèse, ont servi de donneurs de microbiotes à des souris dépourvues de germes. Les souris ayant reçu le microbiote des souris obèses ont rapidement pris du poids, tout en mangeant moins, alors que celles ayant reçu les microbes des souris minces sont restées minces. L’étude du métabolisme a présenté une différence significative entre ces souris(5).
«L’étude sur les souris» de Ridaura montre également que les souris obèses peuvent perdre du poids grâce à une transplantation de microbiote et un régime adapté. Une revue récente renforce les conclusions de cette étude permet d’envisager bientôt l'essai clinique de traitements anti-obésité sur les humains, en utilisant des combinaisons spécifiques de bactéries(6).
Mieux comprendre notre microbiote et les différentes souches de bactéries qui résident dans nos intestins, ainsi que le rôle que chacune exerce sur la manière dont la nourriture est transformée dans nos corps aura à l'avenir une influence déterminante sur notre alimentation.