La préhension des aliments
Les manières de manger se déclinent à l’infini, tant dans la position, que dans le mobilier et le mode de préhension des aliments. Manger avec les doigts est la pratique la plus ancienne et toujours la plus répandue. L’usage des baguettes est une ancienne tradition originaire de Chine et qui daterait de la dynastie Shang (16e - 11e siècles AEC). En comparaison, l’utilisation des couteaux et fourchettes est une pratique jeune qui s’impose à partir du 18e siècle en Occident.
Un long apprentissage en Europe
Si l’usage de la table et des chaises pour le repas en Europe remonte au premier millénaire EC, l’utilisation des couverts est bien plus récente et a nécessité un long apprentissage. Au Moyen Âge, nos ancêtres mangeaient encore avec les doigts, se partageant la cuillère et le couteau communs, posés sur la table. Le couteau, pointu, permettait de piquer les morceaux dans le plat. Les tranchoirs, le plus souvent des tranches de pain rassis, tiennent lieu d’assiette. Le repas est un acte collectif, un moment de partage, tant des aliments que des couverts, à l’image de la communion chrétienne.
À partir du 14e siècle, les convives apportent leur propre couteau. La fourchette, d’abord à deux dents, serait originaire de l’Empire byzantin et son usage introduit en Italie au 11e siècle. Cependant, elle ne commence à être utilisée qu’à partir du 15e siècle par les classes privilégiées. Malgré de nombreuses réticences, elle finit par s’imposer partout en Europe, au sein des élites du moins, au 18e siècle. Les historiens avancent différentes raisons à cette lenteur. L’Église s’y serait opposée, prônant que les dons de Dieu devaient être touchés avec les doigts. Les courtisanes auraient rapidement adopté la fourchette, lui conférant une mauvaise réputation.
Ce n’est qu’à partir du 18e siècle que les couverts se singularisent et le couteau, la cuillère et la fourchette encadrent l’assiette de chaque convive. Le repas collectif de l’époque médiévale se mue en un acte résolument individualiste au Siècle des Lumières. Les ustensiles de table se spécialisent au 19e siècle, tels les couteaux à poissons ou les fourchettes à escargots, et l’usage des doigts se voit interdit.
Diversité culturelle
Manger avec les doigts, premier mode de préhension des aliments, est la pratique la plus répandue. En puisant dans de grands plats ou des assiettes individuelles, elle offre l’avantage de maintenir le contact avec l’aliment et sa texture. La grande majorité des Birmans mangent encore avec la main droite. Avant et après le repas, ils se rincent avec un peu d’eau froide, et parfois du savon. En Inde, aussi, il est impensable de manger avec la main gauche, car celle-ci est considérée comme illicite. Ce même interdit se retrouve aussi dans les pays musulmans, car la main gauche renvoie à l’activité ‘impure’ de se laver après être allé aux toilettes.
L’usage des baguettes concerne principalement l’Asie orientale. La pratique aurait débuté en Chine, sous la dynastie Shang (16e - 11e siècles AEC), puis s’est diffusée sur le continent. Cette manière de manger suppose le découpage préalable des mets, à la cuisine. Les poissons étaient parfois servis entiers, mais on les cuisait d’une telle manière afin que la chair soit assez tendre pour qu’on puisse en saisir des morceaux avec des baguettes. Les Asiatiques piochent volontiers dans les plats communs et dégustent plusieurs mets en même temps.
Au Japon, l’usage des baguettes est soumis à des règles de convenance liées à la notion de souillure. En effet, afin d’éviter un contact physique avec un corps étranger, les baguettes d’usage individuel ne doivent pas toucher la nourriture commune. Celle-ci sera alors servie avec une cuillère ou une autre paire de baguettes. Certaines manipulations sont proscrites à table. Laisser les baguettes plantées dans un bol de riz est extrêmement mal vu, car c’est ainsi qu’on présente le mets au défunt, aussitôt après sa mort, comme nourriture destinée à l’alimenter dans son périple vers l’au-delà. Se passer un objet de baguettes en baguettes est également réservé au rituel funéraire et le faire dans toute autre situation et surtout pendant le repas revient à commettre à un faux pas social.
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