Des sels exotiques
Venus de loin, ils ont envahi nos supermarchés. Mais qu’ils soient roses, bleus ou noirs, ils ne sont pas plus ‘sains’ que le sel blanc traditionnel.
Cristaux de sel sur les rives d’un lac iranien. ©Shutterstock/Fotokon
Ils viennent des quatre coins du monde, ces sels de couleur. De l’Himalaya (le rose), de Perse (le bleu), d’Hawaï (le noir). On les consomme pour leur goût inédit, leur effet esthétique sur les plats, leur texture cristalline ou encore leurs prétendues vertus sur la santé.
Chez Biova, distributeur allemand de sels, poivres et sucres exotiques depuis 2002, Raphael Deckert s’enthousiasme pour ces produits salins venus d’Australie, de Finlande ou d’Afrique du Sud. « Nous avons à cœur de commercialiser des sels sans additifs, 100% naturels et provenant de petits producteurs que nous soutenons. » Selon le commerçant, la demande et la vente de ces sels spéciaux augmentent d’année en année, pas seulement en Europe mais dans le monde entier. « La croissance annuelle pour ce marché dépasse 20% », estime le spécialiste.
Les sels au microscope
En Suisse en 2016, l’Office fédéral de la sécurité alimentaire et des affaires vétérinaires (OSAV) a examiné de près ces condiments du bout du monde, lors d’une vaste étude portant sur 25 sortes. « C’était la première fois que nous nous attaquions à ce type de denrée », relate Eva van Beek, chargée de communication à l’OSAV. Ces sels se retrouvent de plus en plus dans les rayons des magasins, souvent présentés comme très naturels et bons pour la santé, alors qu’on ne connaît pas grand-chose de leur composition chimique. Les résultats publiés en mai 2016 montrent que ces sels exotiques sont dans l’ensemble moins bons pour la santé que leur équivalent de table classique, car moins fortement dotés en iode. Les sels colorés ne comportent en moyenne que 94% de chlorure de sodium contre 99% pour le sel de table classique, ce qui signifie qu’ils contiennent d’autres éléments. Aluminium, uranium ou cadmium figurent parmi les contaminants décelés. En quantités cependant beaucoup trop faibles pour représenter un quelconque risque pour la santé1.
« Comme l’a montré cette étude, les sels de table suisses sont particulièrement purs, nos standards de qualité restant très élevés. », commente Caroline Duparc, Brand Manager aux Salines Suisses SA.
Les prétendues vertus de l’exotisme
Si l’on examine l’emballage des sels exotiques, on constate qu’ils sont fréquemment vantés pour leur « pureté » (extraits dans des zones naturelles, inaccessibles et dénuées de toute pollution, comme le sel de l’Himalaya par exemple), ainsi que pour leur richesse en oligoéléments, le sel étant extrait directement de la roche. L’absence de traitements chimiques ou industriels est également souvent mise en avant, ainsi qu’une préparation dite « à la main » et une production en petite quantité. Sans parler des propriétés purifiantes, drainantes ou stimulantes que permettraient les minéraux contenus dans ces sels.
Ces prétendues vertus ont un prix. On observe un écart de 100 entre le sel le moins cher et le plus onéreux2. « Il existe autant de variétés de sel que de terroirs dont ils proviennent », commente Caroline Duparc. « C’est pourquoi ces sels spéciaux font également partie de notre offre. Mais nous tenons à proposer une proportion suffisante de condiments locaux. Notre sel à l’ancienne, par exemple, est un produit fabriqué à la main, d’une pureté exceptionnelle, provenant des Alpes suisses. Une alternative locale à la fleur de sel. »
Codex Alimentarius
Comme vu plus haut, l’étude de l’OSAV révèle que les sels exotiques ne sont pas meilleurs pour la santé qu’un sel de table classique. Le bleu de Perse fait néanmoins exception : il contient des quantités relativement élevées de potassium, 5 grammes de sel couvrant un quart des besoins journaliers. Les sels de l’Himalaya détiennent, quant à eux, des quantités appréciables de fer, ce qui explique leur couleur rosée. Mais sous forme d’oxyde de fer insoluble. Ce minéral reste donc difficilement assimilable par l’organisme. En conséquence, l’OSAV affirme que les sels himalayens ne peuvent pas être considérés comme de bonnes sources nutritionnelles de fer3.
Les normes et références concernant la qualité du sel alimentaire sont consignées dans le Codex Alimentarius, ensemble de normes internationales émises conjointement par l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Sous « facteurs essentiels de composition et de qualité », le document stipule que la teneur en chlorure de sodium du sel destiné à l’alimentation « ne doit pas être inférieure à 97% de l'extrait sec, non compris les additifs »4. Or, l’OSAV met en lumière que la teneur de quelques-uns de ces sels exotiques n’est que de 94%, voire même de 88% dans certains cas.
L’iode, minéral indispensable
Selon l’étude de l’OSAV, les sels spéciaux examinés manquent d’iode. Cet oligoélément a son importance pour le corps humain, étant responsable de la formation des hormones thyroïdiennes5. Ces dernières régulent la plupart de nos organes, dont le système nerveux central. Les carences en iode se manifestent par une grosse fatigue. Chez une femme enceinte, cela peut générer des anomalies du développement neurocognitif du fœtus ou des malformations. Cependant, les symptômes n’étant pas très prononcés, beaucoup de personnes sont en carence d’iode sans le savoir.
Selon l’association Iodine Global Network, vingt pays du monde seraient confrontés à un manque d’iode au sein de leur population, contre onze qui en consommeraient des doses excessives6. Cela sans aucun lien entre pays développés et pays en voie de développement. En Suisse, 2% des hommes et 14% des femmes se trouvent en carence d’iode7. Cet écart s’explique par le fait que les femmes mangent de moins en moins de sel. En même temps, chaque année, les maladies cardiovasculaires liées à l’abus de sel tuent un million de personnes dans le monde. Un délicat équilibre reste à trouver.
Les risques d’une alimentation trop salée
De nombreuses études montrent que la plupart des habitants des pays occidentaux consomment entre 7 et 12 grammes de sel par jours. Dans certains pays la consommation peut être encore bien plus élevée et atteindre, comme en Corée, les 22 grammes8.
Il est aujourd’hui communément admis qu’une consommation excessive de sodium est mauvaise pour la santé. Elle peut en effet favoriser le développement d’une hypertension artérielle et de complications cardiovasculaires et rénales. C’est pour cette raison que l’OMS, les autorités nationales de la santé publique de nombreux pays ainsi que de multiples sociétés médicales misent sur l’action communautaire pour inciter la population à réduire sa consommation de sel9. L’OMS recommande ainsi une consommation maximale de 5 grammes de sel par jour, et ses États membres ont décidé de réduire de 30% la consommation de sel de la population mondiale d’ici à 202510.
Le conseil des experts
Selon les recommandations des spécialistes, mieux vaudrait utiliser le sel de table régulièrement et les sels exotiques très occasionnellement. Ce que confirme Eva van Beek à l’OSAV : « Oui, la concentration naturelle d’iode est trop faible dans les sels spéciaux. Mais vu le risque de maladies cardio-vasculaires, il convient de modérer la consommation générale de sel, quel qu’en soit le type. » Le sel que nous ingérons provient, en grande partie, des préparations culinaires industrielles qui nous facilitent la vie. Prendre (parfois) le temps de confectionner ses plats soi-même avec des produits choisis avec soin, et saler parcimonieusement, peut être une solution à ce problème. « Favoriser des produits riches en potassium, tels que les fruits et les légumes, est aussi une solution pour minimiser l’impact du sodium sur la pression sanguine », conseille le professeur Andrew Mente.