Ainsi mangeait Ötzi
Remarquablement conservé dans un glacier, Ötzi, une momie âgée de 5300 ans, stimule l’appétit des chercheurs. En explorant son estomac et ses ossements, ils cherchent à mieux comprendre l’évolution de l’alimentation et le rôle que celle-ci a joué dans le développement et la propagation de l’Homme.
Autrefois, on ne disposait que de vestiges secondaires pour reconstituer l’ordinaire des repas de nos ancêtres de la préhistoire et de la protohistoire. Comme par exemple des débris d’os d’animaux, des coquillages, des arêtes de poisson ainsi que des reliquats d’origine végétale tels que des épis de céréales, des graines ou des noix dégagés de sépultures ou de zones d’habitation. Ils renseignent sur la composition et la diversité de l’alimentation des peuples concernés. Toutefois, ces découvertes ne reflètent souvent qu’un régime alimentaire global et ne permettent pas de vérifier l’existence d’habitudes alimentaires individuelles au sein d’une même communauté.
Les origines préhistoriques du terroir
En étudiant l’alimentation des populations de la préhistoire et de la protohistoire, l’on reconstitue d’une part la nature et la composition de leur nourriture. Et d’autre part, l’on met en évidence les spécificités régionales qui différenciaient des groupes d’individus vivant à la même époque. Celles-ci peuvent résulter de conditions climatiques ou d’un environnement géographique différents. Ainsi, pour des hommes vivant à proximité de cours d’eau, de lacs ou de la mer, une proportion importante de poissons et de fruits de mer est attendue, alors que la quantité de viande et de céréales est plus élevée chez les peuplades de l’intérieur des terres.
Aujourd’hui, les restes humains peuvent de plus en plus souvent être examinés immédiatement après leur découverte grâce à des techniques de pointe. L’analyse des isotopes du tissu osseux s’est ainsi révélée particulièrement performante pour débusquer les habitudes alimentaires individuelles. Des habitudes qui ont laissé leurs marques dans l’ossature du végétarien, de l’omnivore, de l’amateur de viande ou du consommateur de fruits de mer, de poissons et de mollusques.
La viande à l’origine du développement du cerveau
Des analyses isotopiques ont ainsi prouvé que l’homme de Néandertal se nourrissait essentiellement de viande et donc que la chasse constituait une activité essentielle de son existence. Les chasseurs de la préhistoire privilégiaient apparemment les grands mammifères comme les équidés et les bovidés; ils s’intéressaient beaucoup moins au petit gibier. Les analyses de certains os de Néandertaliens ont donné des résultats analogues à celles pratiquées sur des ossements d’animaux carnivores. Cette constatation démontre qu’une importante consommation de viande s’est révélée déterminante dans l’évolution de l’être humain. L’énorme croissance de son cerveau n’a pu se faire sans une absorption accrue de graisses et de protéines animales, d’une haute valeur énergétique. Car, comparé à la masse corporelle, le cerveau est surdimensionné et exige un apport en énergie élevé. Cette évolution fut en outre favorisée par la cuisson sur le feu de la nourriture, les aliments cuits étant plus faciles à digérer.
L’homme préhistorique se nourrissait néanmoins aussi de plantes: baies, champignons, fruits et racines enrichissaient son alimentation comme l’attestent les coquilles de noix et les noyaux carbonisés retrouvés sur les sites de fouilles. Par ailleurs, l’examen de dents et de tartre dentaire montre que les plantes jouaient un grand rôle dans le régime alimentaire de nos ancêtres qui les utilisaient probablement aussi à des fins médicinales.
Dans le ventre des momies
L’examen des momies permet de reconstituer le régime alimentaire des peuples primitifs non seulement grâce à leurs os mais aussi grâce aux tissus mous et organes qui sont souvent préservés. Des fragments du système digestif et même le contenu d’estomacs et d’intestins ont ainsi pu être étudiés. Mondialement connu sous le nom d’Ötzi ou d’Homme des glaces (Iceman), le cadavre momifié datant de 5300 ans retrouvé en 1991 après la fonte d’un glacier dans les Alpes austro-italiennes en est un exemple tout à fait impressionnant.
Des analyses contradictoires
Ötzi fut tout d’abord soumis à des analyses isotopiques qui indiquèrent qu’il devait s’être essentiellement nourri de façon végétarienne voire végétalienne. Ces premiers résultats contredisaient de prime abord l’opinion selon laquelle à la fin du néolithique et pendant le chalcolithique, la chasse et donc la consommation de viande jouaient un rôle décisif dans l’alimentation. Théorie corroborée par la découverte d’ossements et de bois d’animaux sauvages lors de fouilles archéologiques ainsi que par la tenue de chasseur de l’homme des glaces, équipé d’un arc et de flèches.
Quel fut le dernier repas d’Ötzi ?
Des examens plus récents de l’estomac et de l’intestin d’Ötzi pourraient expliquer cette contradiction: de nombreux restes d’origine végétale mais aussi des éclats d’os de bouquetin y ont été trouvés. Une analyse génétique détaillée du contenu de l’intestin fournit en outre certains indices permettant de conclure à une consommation de gibier. Et finalement, le contenu de son estomac a révélé que son dernier repas fut essentiellement constitué de viande de bouquetin et de cerf, avec une teneur élevée en matières grasses. Ces résultats prouvent que l’homme des glaces et toute la population du Haut-Adige se nourrissaient de façon très équilibrée. A leur menu figuraient également beaucoup d’aliments provenant de plantes tels que fruits frais ou secs, légumes et baies sauvages ainsi que d’anciennes variétés de céréales comme l’engrain et l’amidonnier, vraisemblablement consommés sous forme de bouillie ou de pain.
Du chasseur au paysan
Dans l’histoire de l’humanité, le passage, il y a près de 12 000 ans, de la condition de chasseur-cueilleur à celle de producteur et de cultivateur constitue une importante césure. C’est en Mésopotamie, dans la région dite du Croissant fertile, au sud-est de l’actuelle Turquie, que la sédentarité s’imposa au nomadisme et que se développèrent progressivement l’agriculture et l’élevage. Un mode de vie qui essaima au cours des millénaires suivants dans toute l’Europe.
L’agriculture en réponse à la hausse démographique
Les raisons précises du succès et de la rapide propagation de cette révolution néolithique sont encore discutées. Un facteur important est l’accroissement considérable de la population qui entraîna une augmentation des besoins en nourriture. L’agriculture permit de produire davantage de céréales tandis que les variétés aux grains plus gros et plus nombreux étaient privilégiées. Les animaux sauvages constituaient encore une source de nourriture essentielle mais leur domestication s’avéra nécessaire au fil du temps pour satisfaire aux besoins. Outre la viande, les peaux et la laine, ils fournirent leur force aux hommes qui les utilisèrent comme bêtes de somme.
Prépondérance de l’intolérance au lactose
Plus tard, produits laitiers et fromages, riches en protéines et en graisses, prirent de l’importance dans l’alimentation. Le lait ne joua toutefois pendant longtemps qu’un rôle secondaire. Des examens génétiques effectués sur l’homme des glaces et sur des vestiges de squelettes dévoilèrent qu’au néolithique, la plupart des individus vivant en Europe présentaient une intolérance au lactose. Passé la période d’allaitement, ils n’étaient plus en mesure de digérer le sucre du lait.
En conclusion, les recherches sur l’alimentation dans la préhistoire et la protohistoire permettent de montrer à quel point l’évolution de l’humanité fut dépendante des stratégies alimentaires adoptées.