Street food à Istanbul
À n’importe quelle heure du jour et de la nuit, il est possible de satisfaire un petit creux comme une grande faim dans les quartiers colorés, gorgés d’odeurs et peuplés de vendeurs à la criée de la métropole turque.
« It’s two lira » (Deux lires s’il vous plaît). Le vendeur tend un verre plein à ras le bord de jus d’orange frais, pressé à la demande. Sur son stand coloré, point de machine sophistiquée gourmande en énergie, juste un presse-agrumes à levier, à la fois simple et efficace. Une jeune fille approche, elle demande un jus de grenade. Les gestes se répètent avec précision : d’une main expérimentée, le vendeur positionne la grenade, presse le fruit et jette la coque fibreuse. Une poignée de secondes et deux grenades plus tard, le verre de jus rubis, délicieusement désaltérant, est prêt. Ces jus de fruits que l’on peut trouver à n’importe quel coin de rue sont à l’image de toute la street food stambouliote : frais, bon marché et prêts en un clin d’œil.
Érigée au titre de ‘capitale culinaire 2008’ par le New York Times, Istanbul propose une cuisine variée aux influences multiples, riche en saveurs, que l’on peut déguster sur le pouce à toute heure de la journée. Dès les premières heures du matin, accompagnés par les cris des mouettes, les vendeurs de simit s’installent dans la rue pour proposer leurs petits pains aux passants. « Taze simit ! Taze simit ! » (simit frais !). Avec leurs chariots vitrés ou leur stock de boulangerie empilée sur un plateau et transportée sur la tête, ils sont dans toute la ville et particulièrement présents près des ports de Kadiköy et Eminönü, où une foule de stambouliotes se presse pour embarquer sur le vapur et rejoindre l’autre continent. D’une jolie forme en anneaux (rappelant quelque peu le bagel), parsemé de sésame, croustillant, le simit se déguste au petit-déjeuner ou comme en-cas dans l’après-midi. On se régale de sa saveur légèrement sucrée due à la mélasse de raisin badigeonnée sur le petit pain avant qu’il ne passe au four.
En deuxième partie de matinée, les rues s’emplissent d’odeurs alléchantes, signe que la préparation des kebabs a commencé. À Istanbul les enseignes utilisant des installations électriques sont nombreuses, mais il est encore possible de trouver facilement une cuisson plus typique, où l’énorme broche de viande marinée – d’agneau, de bœuf ou parfois de poulet ‑ grille doucement au charbon de bois, comme autrefois, ce qui lui confère un arôme incomparable. Le crépitement des flammes rappelle aussi les origines légendaires de ce plat : les soldats ottomans auraient eu pour habitude de faire rôtir des morceaux de viande sur le feu, embrochés sur leurs épées1 …
Moins célèbre, le kümpir, une pomme de terre farcie, remporte les faveurs de ceux qui cherchent un en-cas rassasiant. Le quartier d’Ortaköy, destination privilégiée des balades du dimanche, en a fait sa spécialité. Depuis leurs petites baraques en enfilades, armés de grands gestes et leurs plus beaux sourires, les vendeurs s’adressent aux passants pour leur proposer la patate chaude cuite au four, dont la chair a été mélangée à du beurre et qu’il s’agit maintenant de garnir de crème fraîche, olives, maïs, fromage, rondelles de saucisse, cornichons, ou encore petits pois, selon les préférences.
Les quais du Bosphore, et tout particulièrement les alentours du pont de Galata, ne seraient pas les mêmes sans les stands de balik ekmek. Ce ‘pain au poisson’, véritable institution, est composé de maquereau grillé devant le client, déposé sur du pain, et accompagné de salade verte, tomate et oignon émincé. On y ajoute du sel, des flocons de piment, un trait de jus de citron et le sandwich est prêt à être dégusté.
L’après-midi, les places et les trottoirs de toute la ville abondent de petits en-cas, comme des morceaux rafraîchissants d’ananas et de pastèque, les süt misir (épis de maïs bouilli ou grillé), les kastane (châtaignes) ou encore les fameuses pistaches turques.
Il est toujours temps de déguster du cig köfte, une spécialité savoureuse à base de viande crue auparavant, mais devenue aujourd’hui végétarienne - raisons d’hygiène obligent - grâce à un savant mélange de blé concassé, pâte de poivrons, noix et épices. Cette version est tout aussi succulente, si bien que les boulettes, posées sur une feuille de salade ou roulées dans une galette (lavas), sont de plus en plus présentes dans le paysage de la street food locale.
Debout, seuls ou en petits groupes, appuyés à un muret, les stambouliotes aiment manger dans la rue. Les vendeurs répondent présent tout au long de la nuit en proposant des midye dolma, moules farcies de riz et persil, un en-cas que la jeunesse stambouliote consomme entre deux pubs, dans les lieux branchés. Une autre spécialité typiquement nocturne est l’islak burger, le hamburger mouillé, imbibé de sauce tomate et cuit à la vapeur : d’après les connaisseurs, les meilleurs se trouvent à Taksim.
Et si la fête a été longue, on attrapera un simit encore chaud sur le chemin du retour…