Enrichir la farine, le sel, l’huile…
Un homme sur neuf - 805 millions répartis dans le monde - ne mange pas à sa faim chaque jour(1). Ils sont deux milliards à souffrir de la «faim invisible» qui les prive des micronutriments, vitamines et minéraux indispensables au bon fonctionnement de leur corps.
Le problème le plus grave de santé publique en matière de carence concerne avant tout les micronutriments suivants : vitamine A, fer, acide folique et iode. La vitamine A joue un rôle fondamental dans la prévention de la cécité infantile et elle est essentielle au bon fonctionnement du système immunitaire, le fer prévient l’anémie tandis que l’acide folique réduit les risques de malformation congénitale du tube neural. Une carence sévère en iode pendant la grossesse perturbe sévèrement la fonction thyroïdienne de la mère ainsi que le développement neurocomportemental de l’enfant. Ces troubles ralentissent l’essor de communautés entières: les enfants n’atteignent pas leur plein développement, les parents peinent à travailler de manière efficace et beaucoup trop d’agent est dépensé dans des soins liés à des problèmes découlant de carences alimentaires.
Combattre les carences à large échelle
L’Alliance mondiale pour l’amélioration de la nutrition (GAIN), créée par l’ONU en 2002, est la seule organisation mondiale à agir exclusivement contre la malnutrition. Au fil des ans, elle a développé une profonde compréhension des besoins sur le terrain. Pour tenter de combattre la malnutrition, GAIN a décidé de centrer sa mission sur des solutions innovantes ayant un impact à grande échelle. L’une d’entre elles consiste à fournir des aliments à haute valeur nutritionnelle ; quelque 811 millions de personnes dont environ 369 millions de femmes et d’enfants ont en bénéficié à ce jour.
Améliorer la santé pour stimuler le développement
L’objectif est d’améliorer la qualité nutritionnelle d’aliments de base (farine, huile) et de condiments (sel, soja) en leur ajoutant de petites quantités de micronutriments. Une stratégie simple et rentable au regard d’autres programmes internationaux puisqu’elle permet de combattre avec succès les carences de millions de personnes de par le monde. La Banque mondiale et le Consensus de Copenhague(2) la considèrent comme l’un des meilleurs investissements en termes de rapport coût/efficacité puisqu’en améliorant ainsi la santé de populations, le plus souvent pauvres, l’on stimule indirectement la productivité et le développement économique.
Technique déjà utilisée au début du XXe siècle
Enrichir des aliments de base et des condiments a déjà été pratiqué en Amérique du Nord et en Europe pendant les années 1920 afin d’éradiquer la pellagre, le goitre, le béribéri et le scorbut. La Suisse est le premier pays d’Europe à y avoir fait appel dans un but de santé publique en ajoutant de l’iode au sel comestible dès 1922 afin de combattre le goitre(3). Elle est encore considérée comme un modèle en ce qui concerne cette technique.
Marais salants aux Philippines. © GAIN, alliance mondiale pour l’amélioration de la nutrition
Ajouter de l’iode au sel
Car aujourd’hui encore la carence en iode provoque des maladies. C’est même l’une des principales causes de handicap mental évitable dans le monde puisqu’elle peut induire une diminution de 10 à 15 points sur l’échelle du QI. Une parade simple et bon marché existe pourtant: il suffit d’ajouter de l’iode au sel. Grâce aux programmes de l’Universal Salt Iodisation (USI) mis en place dans le monde entier, le nombre de pays dont les populations présentent des carences en iode est passé de 54 en 2003 à 32 en 2011(4). Les répercussions sur la productivité ont été énormes malgré un coût d’investissement relativement peu élevé : ioder du sel coûte entre 0,5 et 10 cents américains par personne et par an. Les bénéfices tirés en termes d’accroissement de la productivité et de réduction des coûts de santé sont eux évalués à plus de 26 dollars par dollar investi. Grâce à des fonds offerts par la Fondation Bill & Melinda Gates, GAIN et l’UNICEF se sont associés en 2009 pour remédier à la carence en iode dans quinze pays. L’objectif est de fournir du sel iodé à plus de 500 millions de personnes dans une démarche respectueuse du développement durable, incluant des entreprises locales et orientées marché.
La démarche participative de GAIN
La clé du succès d’un programme à large échelle dépend de l’implication du plus possible de partenaires qu’ils soient d’origine étatique, civile, économique et industrielle. GAIN fonctionne comme un facilitateur de lien entre le secteur privé (y compris des entreprises agroalimentaires et des meuniers), les gouvernements, la société civile, les agences internationales et les universitaires. Ces réseaux, appelées Alliances nationales pour l’enrichissement en nutriments, par leurs conseils et leur expertise améliorent la communication et la collaboration nécessaires au développement d’un environnement efficace. GAIN conseille l’industrie agroalimentaire et ses partenaires gouvernementaux sur les aspects techniques pour améliorer l’enrichissement des aliments et leur suivi.
Actif dans plus de 40 pays
Les programmes soutenus par GAIN dans plus de 40 pays ont aidé à réduire les malformations du tube neural en Afrique du Sud grâce à l’ajout d’acide folique à la farine, l’anémie grâce à l’ajout de fer dans la farine de blé au Maroc et en Jordanie ainsi qu’au Kenya et en Chine, grâce à l’enrichissement de la sauce soja en fer.
Plus récemment, en enrichissant des huiles comestibles en vitamine A, la carence en cette vitamine a régressé de manière significative en Indonésie. Un million d’écoliers indiens reçoivent désormais des repas chauds composés d’aliments enrichis leur garantissant un apport nutritionnel équilibré. Enfin, GAIN a également largement contribué à l’ajout de fer dans le pain Baladi (pita) en Égypte.
60% des Sénégalais pauvres mangent enrichi
Une enquête réalisée à l’aide d’outils de contrôle développés par GAIN(5) a confirmé les importants progrès réalisés au Sénégal en un temps relativement court grâce à un programme d’enrichissement à grande échelle bien maîtrisé. L’état nutritionnel d’une grande partie de la population de ce pays a pu être amélioré, en particulier celui des femmes en âge de procréer dont la moitié est considérée comme à haut risque du fait de carence en micronutriments. L’enquête a aussi montré que 60 % de la population pauvre du Sénégal recevait des apports en fer et en vitamine A. Ces résultats impressionnants démontrent que consommer des aliments enrichis en micronutriments bénéficie à la santé et que les plus vulnérables ont aussi eu accès à ces mêmes aliments.
Quelle est la prochaine étape ?
Enrichir la nourriture n’est pas l’unique solution. L’accès à une alimentation de qualité et diversifiée demeurent la priorité dans le cadre de la lutte contre la malnutrition. Mais l’ajout de micronutriments représente un outil formidable qui permet à des écoliers de mieux apprendre, à des femmes enceintes de vivre une grossesse sans problème et de prévenir les maladies dues aux carences. La population mondiale augmente et réclame à juste titre un développement équitable pour tous. Il est donc nécessaire d’assurer aux plus pauvres et aux marginaux un accès à une alimentation équilibrée du point de vue nutritionnel. Dans ce cadre, le défi futur pour GAIN est d’élargir ses programmes à toutes les populations encore tenues à l’écart.