Entomophagie
En Occident, les insectes ne sont pas au menu. Symboliquement associés à la saleté et la mort, il est très difficile pour les Européens de concevoir leur incorporation alimentaire. Pourtant, d'un point de vue strictement nutritionnel, un grand nombre d'insectes sont comestibles. L'entomophagie se présente comme une solution d'avenir pour la durabilité des systèmes alimentaires nécessitant une conversion de la place des insectes dans le répertoire culinaire occidental.
Insectes abhorrés
Si l'entomophagie est pratiquée avec plaisir dans de nombreuses régions du monde, en Europe de l’Ouest les insectes ne sont pas invités à table. L’idée même de consommer un insecte suscite un fort dégoût chez la plupart. Ce dégoût est cognitif, il n’est pas fondé sur les faits objectifs, mais sur l’idée que nous nous faisons de la nourriture. En Occident, les insectes sont souvent synonymes de vermine répugnante, grouillante, associés à la saleté et à la putréfaction, à la maladie et à la mort. Ils sont furtifs, ils piquent, ils parasitent et nous effraient. Leur consommation dès lors s’avère très problématique. L'incorporation d’insectes à des fins alimentaires n’est pas « bonne à penser » (Fischler, 2001) en raisons de préjugés sanitaires et l'idée même peut provoquer des émotions violentes allant jusqu’aux réactions physiques telles que des vomissements. Ceci n'a pas toujours été le cas. L’entomophagie est aussi vieille que l’humanité, comme en témoignent les coprolithes humains préhistoriques, trouvés dans le sol de l’actuelle Amérique du Nord. Selon la Bible, saint Jean Baptiste se serait nourri de criquets pèlerins dans le désert (Mattheu, 3 :4). Ces destructeurs de récoltes sont toujours aujourd’hui un aliment apprécié en Afrique du Nord et au Moyen-Orient. Pline l’Ancien rapporte que les Romains les enrobaient de miel et les considéraient comme une délicatesse, tout comme les cossi (les larves de lucane) qu’ils engraissaient avec de la farine. Plus récemment, au 19e siècle dans le sud de la France, les larves de hannetons étaient consommées grillées au feu de bois.
Vue depuis l'Occident: une pratique alimentaire de nécessité
La perspective occidentale considère la consommation d’insectes comme une consommation de survie. Elle y voit un symptôme de pauvreté ou de difficulté d’approvisionnement d’autres nourritures pour les peuples qui n’ont alors pas d’autre choix que d’être entomophages. Or, de nombreux insectes sont comestibles et présentent même un intérêt nutritionnel certain et des avantages sanitaires démontrés. Depuis quelques années, des fermes d’élevage se développent en Europe et les insectes sont présentés comme un aliment de substitution à la viande : leur utilisation représenterait un élément de réponse à la question de la durabilité des systèmes alimentaires. La conversion serait nécessaire. Or, l’argument principal met en avant l’intérêt économique et environnemental que représentent les insectes et évite de les penser en termes de goût et de plaisir de leur consommation. L'idée défendue est alors celle d'un apprentissage du goût pour les insectes afin de mettre en place en Occident cette pratique alimentaire présentée comme écologiquement avantageuse.
L’insecte abstrait
La culture alimentaire définit ce qui peut être pensé comme mangeable au-delà des seuls critères nutritionnels et sanitaires. Les tentatives de commercialiser les insectes en Occident se heurtent à l’aversion et au dégoût suscités par la vue de ces petites bestioles dans le plat proposé. Une des solutions envisagées dès lors par les fabricants est de produire des aliments à base de farine d'insectes. Ainsi, l’insecte n’est plus reconnaissable dans le produit fini, mais seulement indiqué sur la liste des ingrédients. Par ailleurs, nous mangeons déjà bien des insectes sans le savoir. Environ 500 g par année dans la salade et les fruits, et de la cochenille sous forme de colorant naturel E120 dans les yogourts à la fraise et autres aliments transformés. Qui veut un steak de larve ou un surimi de sauterelle ?
Deutsch, Richard. 2008. Dictionnaire des tabous alimentaires. Paris : Favre, 2008. ISBN/2-82-89099-72.
Durst, P.B, et al. 2008. Edible forest insects, Humans bite back. FAO [En ligne] 19 Fevrier 2008. http://www.fao.org/docrep/012/i1380e00.pdf
Fischler, Claude. 2001(1990). L'Homnivore. Paris : Odile Jacob, 2001(1990). 978-2-7381-0927-8.
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Miot, Henri. 1870. Les insectes auxiliaires et les insectes utiles. Paris : Librairie Agricole. [En ligne] 09.03.2017. http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k28424d
Rozin, P. et Fallon, A.E. 1987. A perspective on disgust. Psychological Review. 1987, Vol. 94, 1, pp. 23-41.